La subsidiarité : du concept politique au concept économique


Nous avons tous entendu parler de « question subsidiaire », mais que signifie la subsidiarité ?

Des périmètres de responsabilité

Il s’agit d’un très ancien concept de philosophie politique que l’on trouve déjà dans la Politique d’Aristote pour décrire la Cité grecque. Celle-ci est composée de groupes reliés les uns aux autres. Chaque groupe cherche à répondre aux besoins de la sphère inférieure.

Politiquement, on retrouve aujourd’hui ce principe dans le droit de l’Union européenne afin de délimiter les compétences et sphères d’intervention. Il vise à ce que les décisions soient prises au plus près des besoins des citoyens. Et le niveau supérieur est censé accomplir ce que le niveau inférieur ne peut réaliser, ce qui fait du principe de suppléance un complément nécessaire au principe de subsidiarité.

Une telle définition risque cependant de se centrer uniquement sur la définition de périmètres de responsabilité distincts en fonction de la nature des problèmes à traiter. S’il en va bien de la clarté de la définition des périmètres de responsabilité comme un prérequis indispensable à l’exercice de la subsidiarité, cela ne suffit pas à ce que ce principe engage véritablement un mouvement vertueux des relations au sein de l’organisation.

Du soutien

Assez curieusement, on trouve le sens le plus littéral du terme « subsidiarité » dans la Guerre des Gaules (2, 6.25.26), récit des épopées héroïques de Jules César. On y parle des troupes de soutien (subsidium) qui sont en appui des armées conventionnelles et qui constituent une relation d’aide essentielle à la victoire. Le terme est aussi utilisé pour qualifier la relation d’aide entre bataillons d’une même armée. Nous voyons poindre là une disposition essentielle de la réussite de toute organisation.
En effet, au-delà de la définition politique de la subsidiarité qui consiste à donner la responsabilité de ce qui peut être réalisé au plus petit niveau d’autorité pour résoudre un problème donné, ce sens littéral de la relation d’aide peut permettre d’élargir la subsidiarité à bien d’autres champs que le domaine politique. Tout échelon supérieur d’une organisation ou une collectivité peut se situer en posture d’aide, de soutien, d’aide au développement des échelons inférieurs.

Nous le voyons bien, il ne s’agit donc pas d’une simple dévolution de pouvoirs à des échelons inférieurs – ce que l’on nommerait alors délégation – mais de la mise en œuvre d’une relation d’aide (de soutien / d’encouragement) qui permet le développement des autres échelons, leur autonomie et finalement leur capacité de décision au plus près des problèmes qu’ils rencontrent.

De la vie sociale

La subsidiarité relève de bien plus qu’une bonne pratique de soutien. Elle relève d’une conception de la vie sociale où l’on considère que la dignité profonde de la personne humaine est d’être un sujet capable de donner quelque chose aux autres et de permettre aux autres d’accomplir ce qui leur incombe comme sujet autonome dans les circonstances particulières qui sont les leurs. La subsidiarité comporte une visée émancipatrice ayant pour but de favoriser la participation de tous au bien commun (ou « intérêt général ») d’une organisation et ultimement de la société dans son ensemble.

La subsidiarité, comme principe d’aide à ceux qui sont en première ligne des solutions à apporter, devient une condition de réussite de toute organisation. Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les acteurs politiques qui en sont responsables. La responsabilité sociale et environnementale des entreprises est devenue décisive et elles doivent adapter leur gouvernance, leur stratégie et leur management à ce défi. Osons dire que celles qui ne relèveront pas ce défi seront certainement vite déclassées. Un nouveau modèle économique s’impose et les entreprises découvrent leur pouvoir d’agir dans la société, un pouvoir d’agir qui n’appartient pas seulement à ceux qui apportent le capital, les actionnaires, ou à ceux qui décident de la stratégie, les dirigeants, mais qui appartient aussi à la première richesse de l’entreprise que sont les salariés.

La crise sanitaire qui s’est déclarée en 2020 a amplifié de nouvelles attentes en termes de sens au travail, de motivation, de qualité dans les collaborations. Dans les années à venir, c’est-à-dire dans les cinq ans à venir, les entreprises devront être capables de mesurer leur performance non simplement en termes de critères financiers, mais aussi en prenant en compte des données non financières d’impact, notamment en prenant en compte la qualité managériale, qui va au-delà de la simple qualité de vie au travail. Il en va dès aujourd’hui pour beaucoup d’entreprises du problème de la fidélisation et de l’attractivité des talents qui recherchent du sens à travers une plus grande conscience de leur participation à leur niveau à un projet plus global de l’entreprise.

Face au constat d’une diminution du pouvoir d’agir des individus au travail, le principe de subsidiarité resitue le pouvoir d’agir des salariés au plus proche des solutions à apporter tout en permettant aux managers de se situer en posture d’aide et de mettre en oeuvre leur pouvoir d’agir propre là où ils sont vraiment attendus en termes de valeur ajoutée.

Penser la personne dans son rapport à l’écosystème

On le voit bien, au-delà même des entreprises, ce sont toutes les organisations, collectivités publiques, associations et entreprises privées, qui sont concernées par de nouveaux types de relations entre managers et managés. Peu à peu, à la suite du management classique issu des organisations paternalistes, ce sont deux grandes approches qui ont émergé. D’un côté une approche, dominée par le « Lean Management » qui passe par la définition, le suivi et l’évaluation d’objectifs individuels à réaliser en vue d’une meilleure performance et une baisse des coûts, de l’autre une approche plus existentielle qui prône avant tout le développement des personnes et vise le bonheur au travail.

Autant le dire, un management subsidiaire ne vise pas à réconcilier ces deux approches, mais à faire plus qu’un pas de côté, à changer de paradigme, à opérer une révolution. Un management subsidiaire sort de la simple individualisation des rapports entre managers et managés pour penser la personne dans son rapport à l’écosystème que représente l’entreprise, un écosystème qui se veut le plus vertueux possible entre des parties prenantes internes et externes à accorder.

Comments are disabled.