Managez l’invisible !


Khadidja est manager dans l’industrie, et ce matin elle a un entretien avec un de ses collaborateurs, Thomas, régulièrement en retard :

– Bonjour Thomas, je voulais évoquer avec toi tes retards de plus en plus fréquents qui ont des conséquences sur ta ligne de production, notamment qui t’empêchent d’être présent à la relève avec l’équipe de nuit. Que se passe-t-il en ce moment pour toi ?

– Bein, c’est les transports, je n’y suis pour rien…

Au bout de quelques minutes, le dialogue n’avance pas et Thomas en est à négocier des horaires aménagés :

– Je te demande désormais d’arriver à l’heure.

– Avec les RER, je n’y arriverai pas !

– Tu y arrivais bien jusqu’à présent…

Se concentrer sur la relation

C’est alors que Khadidja s’est souvenue avoir suivi une formation sur le management de l’invisible. Elle a donc pris une respiration profonde, s’est reculée sur sa chaise, et s’est tue pendant quelques longues secondes (Thomas s’est demandé ce qu’elle faisait).

Puis elle a changé de registre de dialogue et son ton de voix s’est radouci :

– Dis-moi Thomas, je constate aussi que notre relation a changé. Jusqu’à il y a peu de temps, nous ne nous parlions pas comme ça. Que s’est-il vraiment passé pour toi ces derniers temps ?

– Bein… c’est vrai qu’il m’est arrivé un truc au niveau perso et que je n’ai pas voulu en parler au boulot. C’est… délicat.

– C’est ce qui explique tes retards ?

Khadidja s’est intérieurement félicitée d’avoir changé de niveau d’observation et de communication. Elle a arrêté de parler avec Thomas des éléments factuels qui ne menaient qu’à une impasse, pour se concentrer sur l’essentiel : la relation entre eux deux.

D’autres options s’ouvraient à elle également :

Le champ des émotions

En abordant le vécu émotionnel de Thomas, elle aurait pu l’aider à exprimer quelque chose de nature à débloquer la conversation. On sait maintenant qu’une émotion forte empêche une approche rationnelle et objective des situations.

Si Thomas vit une ou des émotions fortes, il ne peut accéder facilement à ses ressources et sa capacité de recul. Khadidja peut l’aider en lui faisant exprimer l’émotion précise qu’il vit.

Le champ de la systémique

En abordant non pas Thomas seul, mais Thomas dans son écosystème, d’autres informations auraient pu émerger permettant un traitement plus efficace du problème. Plus délicat dans cet exemple, car amenant à explorer l’univers personnel de Thomas, cette vision systémique est très pertinente pour des situations purement professionnelles. Elle amène à prendre en compte toutes les personnes impliquées et à mesurer leur influence respective, et surtout à envisager un phénomène de groupe, ce qui est toujours très intéressant pour un manager.

En effet, on peut envisager deux angles de vue : le premier, classique, consiste à penser que Thomas apporte un problème individuel. Le deuxième, circulaire, consiste à penser que le retard de Thomas n’est que le symptôme d’un problème du groupe dans son entier. En d’autres termes : dans le premier cas, Thomas n’est pas solidaire avec ses collègues, dans le deuxième cas, la solidarité du groupe n’est pas suffisamment ancrée pour que Thomas fasse des efforts pour arriver à l’heure.

Le champ des projections, identifications, et autres processus parallèles

Qu’est ce Thomas projette sur Khadidja ? Une projection est un comportement ou une posture que l’on attribue à l’autre. Par exemple, Thomas projette sur Khadidja que, en tant que figure d’autorité, elle va forcément juger (négativement) Thomas pour sa situation personnelle.

Ce champ est plus délicat car il implique souvent l’identification du rapport à l’autorité, mais il est très puissant car il implique le collaborateur et le manager. Habilement manié, ce champ permet de renforcer la relation managériale et de la rendre bien plus efficiente.

Un autre exemple concernant ce dialogue entre khadidja et Thomas : Khadidja devient de plus en plus rigide sur sa posture managériale (« je te demande d’arriver à l’heure » accompagné d’une émotion d’agacement), tandis que Thomas devient de plus en plus rigide sur sa position de « ce n’est pas ma faute ». Ca ne vous rappelle pas un dialogue Parent-Enfant ? Cette simple observation permettrait à Khadidja de basculer dans une posture d’Adulte, propice à l’évacuation d’un conflit naissant.

Traiter les problèmes comme des indicateurs

Avoir ce regard « parallèle » sur l’invisible fait partie de la subsidiarité : ne plus traiter les problèmes comme des problèmes mais comme des indicateurs, faire confiance aux personnes et les distinguer de leurs difficultés, simplement mettre de l’huile entre les étages de votre fusée qu’est votre entreprise, bref basculer d’un traitement du contenu (le « quoi ») vers un traitement des processus (le « comment ») et du sens (le « pourquoi »).

 

François Debly

 

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